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Légataires et héritières
La femme lègue
L’Égyptienne conserve une autonomie juridique tout au long de son existence, autonomie que même un remariage ne remet pas en cause. Personne ne peut lui ôter ses biens, dont elle dispose à sa guise.
À la IIIe dynastie, la dame Nebsénit, mère du haut fonctionnaire Méthen, possédait un important patrimoine. Sans avoir besoin de recourir à l’autorité de son mari, Nebsénit rédigea un testament en faveur de ses enfants et précisa la répartition de sa fortune.
Une autre dame de l’Ancien Empire, Ibeb, insista sur le fait qu’elle avait légué elle-même ses biens à son fils, lequel vivait pourtant chez son père ; l’enfant le reconnut : « J’ai acquis des richesses dans la demeure de mon père Iti, mais ce fut ma mère Ibeb qui me les légua[157] » Une autre dame, Khénet, avait agi de la même façon.
Inutile de multiplier les exemples ; l’important était l’indépendance de l’Égyptienne et sa capacité, extraordinaire par rapport aux cultures anciennes et même modernes, de disposer de son avoir comme elle l’entendait.
La femme hérite
Soit comme fille, soit comme épouse, l’Égyptienne pouvait recevoir un héritage, en totalité ou en partie. Biens meubles et maisons reviennent à des femmes comme à des hommes, le sexe masculin ne jouissant pas d’un privilège particulier. En cas de litige successoral, une femme peut faire valoir ses droits sur une propriété foncière et obtenir gain de cause.
Idou, prêtre de l’âme des pharaons Pépi Ier, Mérenrê et Pépi II, indique qu’il a fait don d’une terre à Dysnek, « Puisse-t-elle te donner », son épouse qu’il aime, et que cette terre est désormais sa vraie propriété. Il a agi ainsi parce que Dysnek fut une épouse exemplaire. Et l’héritière de déclarer : Je fus quelqu’un digne d’être aimé, je fus aimée de ma ville entière. Quiconque tenterait de me dérober cette terre, je porterai plainte contre lui, avec l’appui du grand dieu.
Un prêtre de Medinet Habou, sur la rive ouest de Thèbes, s’était remarié après son veuvage et avait légué des biens à sa seconde femme. Il lui avait fallu résoudre des problèmes juridiques pour légaliser l’acte ; fut écrite cette phrase étonnante : Même si son héritière n’était pas son épouse, même si elle était une étrangère, une Syrienne, une Nubienne aimée de lui, à laquelle il aurait décidé de céder l’un de ses biens, qui pourrait jamais annuler ce qu’il a fait[158] ?
Une femme que l’on tente de spolier ne reste pas inactive. Prenons le cas de la dame Téhénout[159]. Son père s’était remarié avec la dame Sénebtisy et avait établi un contrat de legs pour elle et pour ses enfants ; or, Téhénout porta plainte contre lui, non à cause de cette union à laquelle elle ne pouvait s’opposer, mais parce que son père avait disposé de biens qui appartenaient à sa fille. Elle en dressa la liste et exigea qu’ils lui soient restitués. Puisqu’ils lui avaient été légués, ils lui appartenaient ; à elle, et à personne d’autre.
Le testament de la dame Naunakhté
En l’an 3 du règne de Ramsès V, la dame Naunakhté, « La cité est puissante », habitait le village de Deir el-Médineh[160].
Âgée, disposant de quelques richesses, elle songea à rédiger son testament, puisque, selon ses propres termes, elle était « une femme libre du pays de Pharaon ».
Se penchant sur son passé, elle constata qu’elle avait élevé huit personnes, enfants et serviteurs ; à ces êtres chers, elle avait donné le moyen de fonder un foyer et de l’équiper, en leur octroyant les biens nécessaires. Difficile d’être plus généreuse… Mais quelle ingratitude de la part de ceux qu’elle avait comblés de ses bienfaits ! La plupart l’avaient délaissée, parce qu’elle était vieille.
Naunakhté prit une décision spectaculaire. Elle légua ce qu’elle possédait à qui « mettrait la main sur la sienne », c’est-à-dire à qui prêterait assistance à une vieille dame, sans rien attendre en retour. « À celui qui aura pris soin de moi, déclara-t-elle devant témoin, je léguerai une partie de mes biens ; à celui qui ne l’aura pas fait, je ne donnerai rien ».
C’est pourquoi quatre enfants furent déshérités ; ils auraient pu obtenir la part d’héritage de leur père, un scribe, mais il est probable que ce dernier se rangea à l’avis de sa femme et déshérita, lui aussi, ces enfants ingrats.
Naunakhté fit bénéficier de ses largesses trois artisans, dont l’un reçut une aiguière en métal valant dix sacs de blé, et deux femmes. Et la sentence du tribunal fut dépourvue d’ambiguïté : « Quant aux écrits qu’a rédigés la dame Naunakhté au sujet de ses biens, ils demeureront tels quels, très exactement ».